L’on croyait oublié le temps où les seigneurs exerçaient leur droit de cuissage, les esclavagistes racistes usaient du bois d’ébène, les bourgeois troussaient sans remords leurs soubrettes, et les musulmans abusaient religieusement de leurs esclaves femmes. Ce n’était là bien sûr qu’une cécité consciente puisque, parmi les sourdes violences faites aux femmes, la prostitution mondialisée est passée à l’échelle industrielle et qu’en tout pays ou presque le viol est un phénomène de société. Or, en ce contexte ou le politiquement correct ne regarde que d’un seul œil la souffrance de ces femmes, la montée en puissance de Daesh a réactualisé l’esclavage sexuel à l’encontre de femmes yézidies, mais aussi occidentales. Il ne manqua point alors de censeurs pour rappeler à la face du monde qu’en Islam l’esclavage sexuel était licite, et de citer le Coran à la barre. En vérité, nul doute que les musulmans ont été horrifiés par de tels faits au point parfois d’en dénier la réalité et de n’y voir qu’un énième complot islamophobe. Cependant, tous savaient aussi que l’Islam avait effectivement légalisé l’abus sexuel des esclaves par leurs maîtres et tous espéraient sans doute que ce n’était là qu’odieuse réminiscence d’un lointain passé obsolète. Schizophrénie obligatoire ou introspection nécessaire, quelle attitude adopter, comment se détourner de l’intolérable et, surtout, de l’indéfendable ?
De notre point de vue, lorsque nous avons abordé la question de l’Esclavage selon le Coran et en Islam nous avons montré que si l’Islam était resté esclavagiste c’était réellement d’avoir refusé et détourné le message coranique programmant l’abolition à terme de l’esclavage. Qu’en est-t-il donc de l’esclavage sexuel en Islam et que dit donc vraiment le Coran ?
• Que dit l’Islam
En l’article cité ci-dessus, et sans ambiguïté aucune, nous avons souligné que si l’esclavage est selon le Coran une violation fondamentale de la liberté et de l’égalité des êtres, l’abus des femmes esclaves par leurs maîtres est alors l’expression la plus inhumaine de cette servitude forcée. Pour autant, puisque les hommes de l’Islam n’ont pas suivi les recommandations coraniques et ont unilatéralement maintenu de facto l’esclavage, il n’est guère surprenant à ce que leurs mâles interprétations aient rendu licite l’esclavage sexuel. Nul ne songea alors à remettre en cause cette ignoble prérogative tant elle était inscrite dans les mœurs et tant la souffrance des femmes était perçue comme une norme évidente. Le machisme, le sexisme, la misogynie étaient la règle commune et non des concepts sujets à discussion. La domination des hommes sur les femmes, les mariages convenus ou forcés, le viol de guerre, l’utilisation sexuelle des esclaves semblait donc chose naturelle en ce monde absolument au service de la mâlitude. Il est vrai que le dominant n’entend pas les cris et les pleurs des dominés.
Ainsi, pour les juristes de l’Islam l’esclave est objet de pleine propriété de son maître, il ne possède aucune autonomie et lui doit obéissance en tout. Notons que cette définition est commune à toutes les situations d’esclavagisme toutes époques et latitudes confondues. Ceci étant rappelé, et comme conséquence directe de la déshumanisation générée par l’esclavage, les esclavagistes semblent avoir toujours abusé sexuellement des femmes esclaves, l’Islam des hommes n’a fait que prolonger cette indignité institutionnelle. Il a donc permis au maître de jouir sexuellement de ses esclaves femmes, et, ce, sans leur consentement et sans limitation de nombre. Peu importe qu’esclaves sexuelles et épouses légales, à des degrés différents, soient ainsi meurtries en leur chair, bafouées. Pour l’homme d’il y a mille ans, états d’âme et sentiments des femmes n’étaient pas même au programme, aussi a-t-il été dit par Ibn Kathîr en son tafsîr de S4.V3 : « Celui qui craint de ne pas être équitable [au sens technique et non en sentiments] envers ses épouses, alors qu’il se contente d’une seule femme ou bien qu’il prenne des esclaves, car leur nombre n’est pas limité et l’équité envers elles n’est pas une condition légale. » Pour inscrire cette profonde injustice dans le marbre de la Loi, en dehors de nombreuses arguties juridiques, l’Islam s’est légitimé du Coran à partir d’un énoncé coranique plusieurs fois répété,[1] ex. :
« Bienheureux les croyants […] qui préservent leurs sexes [de tout rapport], si ce n’est avec leurs épouses ou ce que possèdent leurs mains droites, car en ce cas l’on ne peut les blâmer. », S23.V1-6.
Le propos est clair, et il ne fait aucun doute pour les exégètes et le lecteur que les croyants peuvent avoir licitement des rapports sexuels avec « ce que possèdent leurs mains droites », c’est-à-dire leurs esclaves. Ce serait même le fait d’en être les propriétaires qui rendrait l’acte licite. Or, la signification du segment-clef « [avoir des rapports sexuels] avec ce que possèdent leurs mains droites » ne fait réellement sens qu’en fonction du passage coranique l’explicitant, S4.V24-25, que nous allons donc analyser. Bien évidemment, ce dernier a fait l’objet d’une intense activité exégétique destinée à harmoniser, non pas l’Islam au Coran, mais le Coran à l’Islam.
• Que dit le Coran
Voici donc la traduction littérale de nos deux versets référents :
« Alors que les femmes de condition libre et de nobles mœurs parmi les femmes, à moins que ce ne soit celles que vos mains droites possèdent, et c’est une recommandation de Dieu à votre égard, il vous est permis – en dehors de ce qui vient d’être énoncé – de les vouloir moyennant vos biens, en hommes de condition libre et de nobles mœurs et non plus en fornicateurs. Du fait que vous en bénéficiez de leur part, donnez-leur leurs dotations nuptiales, obligatoirement. Et il n’y a point d’inconvénient en ce que vous aurez convenu au-delà de l’obligatoire. Dieu, certes, est infiniment savant, longanime. [24] Quant à celui d’entre vous qui n’a pas les moyens d’épouser les femmes croyantes de condition libre et de nobles mœurs, alors celles que vos mains droites possèdent parmi les jeunes femmes croyantes, Dieu connaît parfaitement votre foi, les uns comme les autres. Épousez-les donc avec la permission de leurs maîtres et donnez-leur dotation nuptiale selon les convenances, ce en tant que femmes de condition libre non en tant que fornicatrices ni non plus en tant que preneuses d’amants. Une fois ainsi de condition libre,si elles agissent alors malhonnêtement, contre elles la moitié de la punition que subiraient les femmes libres et de nobles mœurs. Ceci pour celui d’entre vous qui craint l’affliction, et être endurant est mieux pour vous, et Dieu est Tout pardon et Tout miséricorde. », S4.V24-25.
Afin que l’on comprenne d’emblée le propos dudit passage coranique qui, contre l’avis de l’Exégèse, va interdire l’abus sexuel des esclaves et ne permettre avec elles de rapports que dans le cadre du mariage en voici la traduction littérale et son commentaire intégré :
« Alors que [par rapport aux femmes qui viennent de vous être tabouisées au v23] les femmes de condition libre et de nobles mœurs [que vous souhaitez épouser vous sont permises] parmi les femmes [épousables], à moins que ce ne soit celles que vos mains droites possèdent [que vous pouvez donc épouser], et c’est une recommandation de Dieu à votre égard, [c.-à-d. de les épouser] il vous est permis – en dehors de ce qui vient d’être énoncé [c-à-d. en dehors des interdits et des tabous aux v19-23] – de les vouloir [épouser] moyennant vos biens, en hommes de condition libre et de nobles mœurs et non plus en fornicateurs [c.-à-d. en profitant sexuellement des esclaves en dehors du mariage]. Du fait que vous en bénéficiez [du mariage]de leur part [puisqu’elles ont accepté de vous épouser], donnez-leur leurs dotations nuptiales, obligatoirement [conformément à un mariage usuel et non à un mariage temporaire]. Et il n’y a point d’inconvénient en ce que vous aurez convenu au-delà de l’obligatoire [en matière de dot]. Dieu, certes, est infiniment savant, longanime. [24] Quant à celui d’entre vous qui [selon vos habitudes sociales] n’a pas les moyens d’épouser les femmes croyantes de condition libre et de nobles mœurs, alors celles que vos mains droites possèdent [c.-à-d. les esclaves] parmi les jeunes femmes croyantes, Dieu connaît parfaitement votre foi, les uns comme les autres [et, conséquemment, vos habitudes sociales discriminatives ne sont pas fondées aux yeux de Dieu]. Épousez-les donc [obligatoirement] avec la permission de leurs maîtres [lorsqu’il ne s’agit pas de vos propres esclaves] et donnez-leur dotation nuptiale selon les convenances, ce en tant que femmes de condition libre [c.-à-d. au même titre et de même statut] non en tant que fornicatrices [du fait que vous abusiez d’elles] ni non plus en tant que preneuses d’amants[c.-à-d. des femmes entretenues]. Une fois ainsi de condition libre [du fait du mariage], si elles[ces esclaves affranchies de par le mariage] agissent alors malhonnêtement [du fait même du traumatisme psychologique de l’asservissement], contre elles la moitié de la punition [c-à-d. soyez indulgents envers elles] que subiraient les femmes libres et de nobles mœurs. Ceci pour celui d’entre vous qui craint l’affliction [de la critique sociale ségrégationniste pour avoir épousé une esclave], et être endurant [c.-à-d. supporter ces pressions sociales pour suivre Dieu en les épousant tout de même] est mieux pour vous, et Dieu est Tout pardon et Tout miséricorde. », S4.V24-25. [2]
Pour saisir ce propos coranique, il faut en premier lieu tenir compte des ségrégations sociales ayant cours à cette époque. Globalement, les femmes étaient distinguées selon trois catégories : les femmes de noble extraction, l’élite en quelque sorte, les femmes de basse extraction, les femmes du peuple donc, enfin : les esclaves et les prostituées. C’est de ces premières et troisièmes conceptions de classe dont, par contraste et opposition, il est question en ces versets.
1– La locution « les femmes de condition libre et de nobles mœurs » traduit littéralement le pluriel muḥṣanât. Le sens de ce premier terme du v24 a été très discuté par les commentateurs et l’avis de ceux qui étaient en faveur de l’abus sexuel des esclaves ou des captives de guerre l’emporta, ce qui imposait selon leur volonté interprétative que muḥṣanâtsignifiât femmes mariées. Aussi, convient-il d’en mener l’analyse lexicale sous l’angle de l’intratextualité coranique. Le pluriel muḥṣanât est un participe passé de la forme IV aḥṣanaqui, en première intention, signifie fortifier, garder intact (ex. S12.V48), protéger (ex. en S21.V80). Par ailleurs, comme l’indique le Coran à deux reprises au sujet de Marie en S21.V91 et S66.V12 la locution aḥṣanat farja-hâ signifie protéger son sexe, c’est-à-dire rester chaste. Toujours selon le Coran, la forme IV aḥṣana lorsque comme ici au v25 est employée au passif : uḥṣina, et linguistiquement seulement en ce cas, signifie qu’après avoir été esclaves ces femmes sont par le mariage affranchies : des femmes de condition libre dite donc muḥṣanât. Par ailleurs, le terme muḥṣanât étant opposé en ce même verset à celui de musâfiḥât/fornicatrices et le pluriel muḥṣanîn de même : « et non plus en fornicateurs », ceci confirme que pour le Coran aḥṣana et son participe passé masculin pluriel muḥṣanîn ainsi que son participe passé féminin pluriel muḥṣanât sont corrélés à la notion de vertu en matière de mœurs. L’ensemble de ces observations lexicales justifie notre traduction de muḥṣanât par « femmes de condition libre et de nobles mœurs » et celle de muḥṣanîn par « hommes de condition libre et de nobles mœurs ». Ainsi, selon la triple répartition sociale des femmes en vigueur chez les Arabes mentionnée en introduction, les muḥṣanât sont des femmes de classe sociale supérieure, ce qui justifie qu’il soit précisé min an–nisâ’/parmi les femmes, c.-à-d. parmi l’ensemble des femmes et, en particulier, les femmes du peuple. Ces femmes sont selon les conceptions d’alors nécessairement de condition libre et réputées de bonne moralité par opposition au petit peuple et aux esclaves. Rien n’indique donc lexicalement que ces femmes ne sont pas mariées, contrairement à ce qu’exégèses et traductions supposent. Du reste, le Coran invalide cette compréhension forcée puisqu’en S5.V5 l’on constate que muḥṣanât ne peut absolument pas signifier femmes mariées,[3] car ce verset traite précisément d’épouser des muḥṣanât au nombre des Gens du Livre. D’évidence, puisque muḥṣanât et muḥṣanîn sont nécessairement de même signification et que muḥṣanîn qualifie ici des hommes cherchant mariage, ceci confirme par symétrie que les muḥṣanât sont aussi des femmes non mariées, quoi qu’en dise l’Exégèse.
2– Ce dernier constat littéral implique donc que nos vs24-25 soient relatifs au mariage et non pas aux catégories interdites au mariage contrairement à ce que soutient l’Exégèse lorsqu’elle inscrit le v24 comme faisant suite des vs22-23. La traduction standard rend compte de cette interprétation exégétique : « et, parmi les femmes, les dames (qui ont un mari [c.-à-d. lesmuḥṣanât]), sauf si elles sont vos esclaves en toute propriété. Prescription d’Allah sur vous ! » En cette traduction, l’absence de majuscule au « et » initial se veut signaler que serait là continuée la liste des femmes interdites au mariage du v23. C’est donc la polyandrie qui serait visée, mais, surtout, le but de cette lecture rend possible d’excepter de l’interdiction de rapports sexuels hors mariage le segment « sauf si elles sont vos esclaves ». Cette simple opération sémantique a donc permis de rendre légal le fait d’épouser des esclaves mariées à des esclaves, ou mariées avant leur asservissement en tant que prise de guerre. Plus encore, et tel était l’objectif recherché, les juristes ont utilisé cette interprétation pour en déduire que les « esclaves » en question étant exclues des interdits coraniques et qu’il était donc licite pour leurs maîtres d’en user sexuellement sans avoir à les épouser sous couvert, qui plus est, d’une autorisation divine : « prescription d’Allah sur vous » ! Là est donc la preuve de l’Islam pour cette infamie.
3– Or, ce v24 n’aborde pas une interdiction de mariage, mais, au contraire, traite du mariage et présentement de la possibilité d’épouser les muḥṣanât ainsi que les esclaves femmes. En effet, l’en-tête du v25 le précise clairement : « quant à celui d’entre vous qui n’a pas les moyens d’épouser les femmes croyantes de condition libre et de nobles mœurs/al–muḥṣanât, alors celles que vos mains droites possèdent parmi les jeunes femmes croyantes ». Le sujet est donc bien le mariage, d’une part, avec des « femmes de condition libre » et, d’autre part, avec « celles que vos mains droites possèdent », c.-à-d. les femmes esclaves. Le Coran est donc là en totale rupture d’avec les cultures esclavagistes d’alors puisqu’il met le mariage avec une esclave sur le même pied que celui avec une femme de condition libre. L’introduction du v24 se comprend donc comme suit : « Alors que [par rapport à celles qui viennent de vous être tabouisées au v23] les femmes de condition libre et de nobles mœurs [que vous souhaitez épouser] parmi les femmes [épousables], à moins que[4] ce ne soit celles que vos mains droites possèdent [que vous pouvez donc épouser] et c’est une recommandation[5] de Dieu à votre égard [c.-à-d. de les épouser]. »
4– Cette signification est alors directement confirmée par le segment « il vous est permis – en dehors de ce qui vient d’être énoncé [c.-à-d. en dehors des tabous énoncés aux vs22-23] – de les vouloir [épouser] moyennant vos biens,[6] en hommes de condition libre et de nobles mœurs et non plus en fornicateurs ». Le recours aux « biens » correspond ici à la dotation nuptiale comme du reste précisé : « donnez-leur leurs dotations nuptiales, obligatoirement » obligation inscrite dans la phrase suivante : « du fait que vous en bénéficiez de leur part, donnez-leur leurs dotations nuptiales, obligatoirement ». Cependant, si nous lisons latraduction standard : « puis, de même que vous jouissez d’elles, donnez-leur leur mahr/dot, comme une chose due. Il n’y a aucun péché contre vous à ce que vous concluez un accord quelconque entre vous après la fixation du mahr/dot » nous retrouvons exprimée une ambiguïté supposée ayant permis tant aux sunnites qu’aux shiites d’affirmer que le mariage dejouissance/zawâj muta‘a, dit aussi mariage temporaire, était coranique.[7] Or, le verbe istamta‘a, forme X de la racine mata‘a, signifie aussi « bénéficiez de » et, en istamta‘tum bi-hi min-hunna, le pronom « hi », masculin singulier, représente nécessairement le mariage en tant que sous-entendu par la formulation : « les vouloir [épouser] moyennant vos biens ». Par suite, le complexe min-hunna : « de leur part » correspond au fait « qu’elles » ont accepté de vous épouser, d’où : « du fait que istamta‘tum bi-hi/vous en bénéficiez [du mariage] de leur part/min-hunna [c.-à-d. leur accord pour le mariage], donnez-leur leurs dotations nuptiales, obligatoirement ». Il s’agit donc là de l’énoncé des conditions normales présidant à la conclusion d’un mariage lequel repose sur l’accord de la promise et, « obligatoirement/farîḍatan », sur le versement préalable de la dotation nuptiale. Nous sommes ainsi bien loin des insinuations sexistes et misogynes de l’Exégèse qui ne voyait dans le mariage qu’une légalisation de l’achat par l’homme d’un acte sexuel : « de même que vous jouissez d’elles, donnez-leur leur mahr, comme une chose due. » Aussi, le complément d’information « et il n’y a point d’inconvénient en ce que vous aurez convenu au-delà de l’obligatoire/al–farîḍa » ne signifie pas la possibilité de convenir entre la femme et l’homme d’un contrat de mariage comprenant des clauses supplémentaires [comme un mariage de durée préétablie], mais « au-delà de l’obligatoire [quant à la dotation nuptiale] ». Ceci rappelle que pour le Coran le mariage est un contrat civil, un « engagement solennel », cf. v20, et non point un sacrement. En tout état de cause, il faut une certaine imagination pulsionnelle pour supposer qu’il serait ici indiqué la possibilité de fixer d’avance une durée déterminée de mariage. Ce n’est point le propos du Coran, mais bien l’expression des désirs sexuels de l’homme-exégète, une ruse juridique légalisant en quelque sorte une forme de prostitution ou de libertinage alors même que le Coran l’interdit formellement lorsqu’il dit : mariez-vous « en hommes de condition libre et de nobles mœurs et non plus en fornicateurs [c.-à-d. en profitant sexuellement des esclaves en dehors du mariage] » et de même pour les femmes « en tant que femmes de condition libre, non en tant que fornicatrices [du fait que vous abusiez d’elles] ni non plus en tant que preneuses d’amants [c.-à-d. des femmes entretenues]. Pour conclure, l’idée même de mariage de jouissance ou temporaire/zawâj muta‘a est contraire à l’éthique du mariage selon le Coran, ne serait-ce qu’au regard du v20. De plus, nous rappellerons que le Coran n’aurait eu aucune cohérence à valider une telle pratique puisque, aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’interdit pas les relations sexuelles entre un homme et une femme formant un couple non marié fondé sur « doux amour et bienveillance », S30.V21, et non sur la seule base de l’assouvissement sexuel, cf. L’adultère et la fornication selon le Coran et en Islam et Le couple selon le Coran et en Islam.
5– L’introduction du v25, nous l’avons noté, confirme que le sujet du v24 était bien la permission d’épouser les muḥṣanât et non pas l’interdiction dudit mariage. Du mariage avec ces esclaves, il est donc dit : « épousez-les donc avec la permission de leurs maîtres [lorsqu’il ne s’agit pas de vos propres esclaves] et donnez-leur dotation nuptiale selon les convenances, ce en tant que femmes de condition libre et non en tant que fornicatrices ni non plus en tant que preneuses d’amants », ce qui établit les mêmes règles en matière de mariage pour ces femmes que pour les muḥṣanât et condamne explicitement le fait pour le maître d’abuser sexuellement de ses esclaves. Cette mesure fut, à vrai dire, révolutionnaire pour son temps, car le maître jouissait librement de ses esclaves et la société ne reconnaissait à ces femmes que bien peu d’humanité tout comme, du fait même de cette exploitation sexuelle, elle dévalorisait la situation de l’épouse officielle. Nous l’avons rappelé, il est bien connu que l’Islam ne put se résoudre à valider cette réforme et qu’il a donc maintenu de facto l’utilisation sexuelle des esclaves, des concubines ou autres captives de guerre en mésinterprétant nos deux versets référents : S4.V24-25. Directement en lien avec ce refus d’égalité entre femmes libres et femmes esclaves, le segment « Dieu connaît parfaitement votre foi, les uns comme les autres » a été compris en Islam de manière réductrice. La traduction standard en témoigne à nouveau : « Allah connaît mieux votre foi, car vous êtes les uns des autres (de la même religion) », ce qui signifie que le mariage avec des esclaves n’est possible juridiquement que si elles sont musulmanes. Conséquemment, il en a été déduit que dans le cas contraire il était possible et légal de continuer à user sexuellement hors mariage des esclaves non musulmanes. Bien entendu, selon la lecture égalitaire du Coran l’on doit comprendre par ces termes que tous les êtres humains sont foncièrement égaux et que la foi des gens de condition libre n’est en rien supérieure à celle de ceux qui ont été asservis.[8] En soi, il s’agit d’un appel au nom de la foi et de l’humanisme à l’abolition de l’esclavage, le mariage étant alors une voie d’émancipation et d’affranchissement en cette nécessaire évolution.[9] Enfin, le segment « et non en tant que fornicatrices/musâfiḥât ni non plus en tant que preneuses d’amants/muttakhidhât akhdân » rappelle que tout rapport sexuel avec les esclaves en dehors du mariage est interdit. Du point de vue terminologique, le féminin pluriel musâfiḥât signifie bien fornicatrices, tout comme son équivalent au masculin en S5.V5 : musâfiḥîn vaut pour fornicateurs. Cependant, nous avons montré en les deux articles cités plus haut[10] que le Coran ne condamnait pas la fornication au sens large de tous rapports sexuels hors mariage, mais en tant que libertinage ou débauche, ces deux dernières significations interdisant ici spécifiquement l’utilisation sexuelle des femmes esclaves par leurs maîtres. Quant à la locution muttakhidhât akhdân qui a aussi son masculin en S5.V5 : muttakhidhîn akhdân, elle signifie littéralement preneuses d’amants et elle désigne, à la différence de la fornication, une relation sexuelle avec un partenaire régulier, notion que l’on retrouve dans l’expression française : entretenir une maîtresse. De ce fait, certains l’on traduit par concubines[11] mais cela est inexact, car le concubinage suppose que les deux amants vivent ensemble, c.-à-d. en situation maritale, ce qui n’est présentement pas le cas. Il encore plus faux de le rendre par captives de guerre comme on peut aussi le lire. Néanmoins, de ce qui précède, il est évident que le statut de concubines au sens classique du terme et est parfaitement interdits par notre v25. S’ajoute à cela, le fait que le Coran en S47.V4 a formellement interdit la mise en esclavage des captives et des captifs de guerre ! Pour ce verset, voir L’esclavage selon le Coran et en Islam.
6– Selon le Coran, il est donc obligatoire d’épouser les esclaves pour commercer avec elles, mariage conclu selon les mêmes règles que celui avec des femmes de condition libre et dont la conséquence est l’affranchissement de ladite esclave : « une fois ainsi de condition libre[c’est-à-dire du fait du mariage] ». Le mariage avec une esclave n’est donc pas une manière de contourner l’interdiction du concubinage et de l’abus sexuel des esclaves, mais consiste à un véritable mariage avec toutes les responsabilités et le respect que cette union suppose pour une femme de condition libre. Dans le contexte de cet affranchissement il est ajouté la remarque suivante : « si elles [ces esclaves affranchies de par le mariage] agissent alors malhonnêtement, contre elles la moitié de la punition que subiraient les femmes libres et de nobles mœurs ». Les juristes ont déduit de cela qu’une esclave ayant commis l’adultère ne recevrait que cinquante coups de fouet au lieu de cent pour une femme de condition libre. D’une part, cela pose un problème pour les partisans de la lapidation pour adultère et, d’autre part, rien ne serait prévu pour l’esclave mâle en un cas similaire. Quoi qu’il en soit, cette lecture faite par l’Islam repose fondamentalement sur l’idée qu’un esclave n’est réellement que la moitié d’un être humain. Aussi, afin de comprendre le sens réel de ce propos coranique, il faut dans un premier temps noter que l’expression employée atayna bi-fâhisha est identique à celle du v15 dont nous avons montré en S4.V15-16 qu’elle était sans rapport avec l’adultère ou la fornication et signifiait « elles viennent malhonnêtement » et non pas comme le rend la traduction standard de l’Exégèse standard : « elles commettent l’adultère ». Le contexte d’énonciation étant différent, il est plus exact encore de traduire cette locution par « elles agissent malhonnêtement ». Ceci étant, l’idée même qu’elles aient « la moitié de la punition » est significative puisque le Coran n’a pas établi de châtiments physiques dits ḥudûd et que, parmi celles qu’on lui attribue à tort,[12] trois ne sont pas divisibles par deux ! En réalité, pour le Coran, ces sanctions sont soit morales soit renvoyées au Jugement Dernier et, de ces faits littéraux, nous en déduisons que par la locution « la moitié de la punition » il nous faut entendre un appel à l’indulgence pour des femmes qui, lorsqu’elles étaient esclaves ont été malmenées, exploitées, violées, perverties, non éduquées, etc. et dont le processus de reconstruction sera nécessairement long.
7– Le dernier segment du v25 conclut ce passage coranique relatif à l’égalité dans le mariage entre les femmes de condition libre et les femmes de condition servile que le Coran, in fine, place sur un même rang d’égalité. Nous l’avons souligné, face à la culture esclavagiste et ségrégationniste du VIIe siècle, le point de vue coranique ne pouvait en son avancée que rencontrer des résistances. Ainsi, l’Islam a-t-il modifié la perception-compréhension du segment suivant : « ceci pour celui d’entre vous qui craint l’affliction, et être endurant est mieux pour vous ». Pour s’en convaincre, il suffit encore une fois d’en lire la traduction standard en sa fidélité à l’Exégèse : « ceci [c.-à-d. le mariage avec les esclaves] est autorisé à celui d’entre vous qui craint la débauche ; mais ce serait mieux pour vous d’être endurant » ainsi que la note qui l’accompagne : « Endurant : il s’agit de supporter votre condition de célibataire jusqu’à ce que vous puissiez épouser une femme [qui ne soit pas une esclave] ». Selon l’Exégèse, cela signifie que si vous n’avez pas les moyens d’épouser une ou des femmes de condition libre alors vous pouvez assouvir vos besoins sexuels avec des esclaves, mais sans même avoir à les épouser ou, au pire, en les épousant. Nous l’avons démontré, cette préconisation de l’Islam est totalement contraire à l’objectif du Coran. Le terme ‘anat a été rendu par débauche, adultère, mais il signifie essentiellement : difficulté, souffrance, « affliction ». Contextuellement, il s’agit d’encourager le mariage avec les femmes de condition servile, non pas, nous l’avons vu, pour assouvir la sexualité de l’homme, mais bien parce que pour le Coran elles sont des femmes tout aussi dignes d’être épousées et qu’ainsi sera favorisé leur affranchissement, ceci conçu comme étape vers la disparition programmée de l’esclavage. Cette recommandation coranique : « ceci » s’oppose donc au mépris que les Arabes éprouvaient pour leurs esclaves, au point de les abuser sexuellement et sans leur consentement et, en ces conditions, les épouser eut été pour selon leur point de vue socialement infamant et, sexuellement, d’aucun intérêt. Aussi, est-il dit à celui qui a entendu et accepté ce message du Coran qu’il n’a pas à craindre « l’affliction » causée par les critiques et les sarcasmes de ses congénères, car la Révélation lui donne raison et le soutient. Face à cette incompréhension sociale que le Coran anticipe parfaitement, il est appelé à ne pas céder à ces pressions : « être endurant est mieux pour vous » et, sachez, que « Dieu est Tout pardon et Tout miséricorde » à l’égard de celui qui, pour Lui, supporte l’opprobre et le rejet pour parvenir à mettre en œuvre l’objectif coranique. Pour autant, il n’est pas inutile de rappeler que les malikites, par exemple, ont tout simplement interdit à l’homme libre d’épouser une esclave… Épouser une esclave était si déconsidéré dans la société d’alors et celles d’après que la Sîra prendra soin d’affirmer que le Prophète n’a jamais épousé d’esclaves, en l’occurrence Maria la Copte qui n’aurait été que sa concubine. Ceci témoigne à distance de la persistance en des sociétés foncièrement esclavagistes de la déconsidération du mariage d’hommes de condition libre avec des femmes de condition serviles. De même, à partir de ce supposé modèle prophétique, ces propos ont servi de base pour parvenir dans les faits à interdire de tels mariages.
8– Au final, S4.V24-25 interdit sans ambiguïté de jouir des esclaves en dehors du mariage. Ce constat nous permet alors à partir de ces deux versets-clefs de comprendre au v25, tout comme en ses nombreuses occurrences, le sens une locution particulière, à savoir : celles que possédaient leurs mains droites/mâ malakat aymânu-kum, expression systématiquement traduite par ce que possèdent vos mains droites, périphrase désignant sans aucun doute les esclaves et, tout particulièrement en ce contexte, les esclaves femmes : celles que possèdent vos mains droites. Nous avons cité en note 1 la liste de ces 15 occurrences et en avons du reste mentionné un verset type :
ex. : « Bienheureux les croyants […] qui préservent leurs sexes[de tout rapport], si ce n’est avec leurs épouses/azwâja-hum ou ce que possèdent leurs mains droites/mâ malakat aymânu-hum, car en ce cas l’on ne peut les blâmer. », S23.V1-6.
Selon l’Exégèse et l’entendement commun à sa suite, il s’agirait là de la licéité des rapports sexuels avec ses épouses, dans le cadre du mariage donc et, hors mariage, avec ses esclaves. Or, comme nous venons de le démontrer, le Coran a interdit une telle pratique et, à moins de contradiction flagrante, il ne peut en ces versets avoir autorisé les rapports sexuels entre un Maître et ses esclaves. Rappelons-le, cette permission, si elle existait, serait le maintien par la Révélation du pire sort fait aux femmes, une double peine infamante : esclaves et objet sexuel, rien d’autre que du viol légalisé ! S’ajoute à cela la souffrance morale de l’épouse légale ainsi bafouée, nous l’avons dit ! Sous cet aspect, une telle licence s’apparente à l’injustice faite à l’autre qui, précisément, motive la condamnation coranique de l’adultère. Ainsi, avec cohérence, puisque le Coran interdit en toute justice le droit du Maître sur sa propriété asservie, il suffit d’observer que la locution mâ malakat aymânu-kum est formulée au passé et ne signifie donc pas ce que possèdent vos mains droites, mais bien : « celles que possédaient vos mains droites ». Le sens est clair, il s’agit ainsi de désigner les esclaves qui ont été épousées au même titre que les femmes libres et qui ne sont donc plus celles que vos mains possèdent, mais bien « celles que possédaient vos mains ». Si, dans la formulation employée, le Coran semble établir une différence entre épouses et femmes esclaves, ce n’est donc pas d’un point de vue de la licéité des rapports sexuels, mais uniquement pour restituer le distinguo social établi par les Arabes entre les femmes de condition libres et celles d’origine servile. Nous avions signalé en introduction de notre analyse littérale l’importance de ce contexte social pour comprendre le sujet de nos deux versets référents : S4.V24-25. Le Coran ne valide donc pas pour autant cette ségrégation sociale puisque, tout en interdisant d’abuser sexuellement des esclaves, il encourage fortement de les épouser afin de leur conférer dignité humaine et affranchissement. Ainsi, lorsque la locution-clef mâ malakat aymânu-kum ouaymânu-hum est employée dans un contexte explicitement en lien avec le mariage et la notion de rapports sexuels qui en découle, elle se lit telle qu’elle est grammaticalement , c’est-à-dire formulée au passé et désignant uniquement les femmes esclaves, ce qui pour le verset que nous avons pris en exemple se comprend alors comme suit : « ceux qui préservent leurs sexes[de tout rapport], si ce n’est avec leurs épouses [d’origine non servile] ou celles que possédaient leurs mains droites/mâ malakat aymânu-hum, car en ce cas l’on ne peut les blâmer [puisqu’ils n’auront pas transgressé l’interdiction du recours sexuel aux esclaves énoncé par S4.V24-25] », S23.V5-6. Par contre, il est quelques versets où la locution mâ malakat aymânu-hum est visiblement inscrite en un contexte différent, c.-à-d. sans aucun rapport avec les relations maritales. En ce cas, elle qualifie globalement les esclaves hommes ou femmes effectivement détenus en tant que tels. Elle est alors à considérer comme une locution figée qui, bien que toujours formulée au passé, fera sens au présent : ce (ou ceux ou celles) que possèdent vos mains droites. Tel est bien le cas en notre v25 puisque le propos est le fait d’épouser des femmes encore esclaves : « Quant à celui d’entre vous qui n’a pas les moyens d’épouser les femmes croyantes de condition libre et de nobles mœurs, alors celles que vos mains droites possèdent/mâ malakat aymânu-kum… » Un autre exemple : « Adorez Dieu et ne Lui associez rien ! Envers père et mère : bienfaisance, ainsi qu’à l’égard des proches, des orphelins, des pauvres, du proche voisin et du voisin éloigné, du compagnon à vos côtés, du fils de la route et de ce que possèdent vos mains droites… », S4.V36. C’est effectivement parce que l’Exégèse a négligé ce très précis distinguo coranique qu’a été maintenue la confusion littéraliste ayant permis de créer l’illusion que le Coran autorisait les maîtres à abuser sexuellement de leurs esclaves.
9– Enfin, nous nous devons de citer un dernier segment de verset puisque celui-ci a lui aussi été dévié de sa signification, en voici la traduction standard :
« …Et dans votre recherche des profits passagers de la vie présente, ne contraignez pas vos femmes esclaves à la prostitution/al–bighâ’, si elles veulent rester chastes. Si on les y contraint, Allah leur accorde après qu’elles aient été contraintes, Son pardon et Sa miséricorde. », S24.V33.
Au mieux, l’Exégèse admet ici que ce verset interdit la prostitution des femmes esclaves, mais en déduit aussitôt qu’a contrario le maître garde tout de même le droit d’en jouir personnellement ! Pour autant, certains ont voulu comprendre la conclusion « Allah leur accorde après qu’elles aient été contraintes, Son pardon et Sa miséricorde » comme signifiant que Dieu pardonnerait aux maîtres qui, malgré tout, auraient prostitué leurs esclaves femmes ! D’autres, comme les malikites à nouveau, n’ont pas souhaité voir là une interdiction de la prostitution des esclaves, mais seulement une recommandation puisqu’après tout, soit Dieu pardonne à celles-ci, soit Il pardonne au maître proxénète, soit les femmes ne souhaitant pas « rester chastes » seraient donc consentantes ! Ces exégèses ne sont que le reflet du maintien de la prostitution dans le monde musulman post-coranique. Or, puisque d’une part, nous aurons démontré clairement que le Coran interdisait tous rapports sexuels hors mariage avec les esclaves, la prostitution de ces dernières par leurs maîtres était donc de facto prohibée et elle n’est pas ici répétée. En fonction de la cohérence coranique, la traduction littérale de ce passage s’entend donc de la sorte :
« par recherche du plaisir éphémère de ce bas-monde, ne contraignez pas vos jeunes esclaves à la transgression/al–bighâ’ [de l’interdiction de rapports sexuels avec vous] alors qu’elles veulent rester chastes. Mais, après qu’elles y étaient forcées… et bien, Dieu est Tout-pardon et miséricorde [à leur égard] », S24.V33.
Ici, le terme bighâ’ ne peut donc signifier prostitution, mais conformément à son étymologie : transgression, c’est-à-dire la transgression de l’interdit sexuel protégeant les femmes esclaves. Autrement dit, il est répété que le maître n’a aucun droit d’ordre sexuel sur ses esclaves et il est ajouté que s’il advenait qu’il les contraigne malgré tout à avoir des rapports avec lui [alors que bien évidemment elles veulent rester chastes], Dieu pardonnerait ces victimes et sûrement pas ceux qui « par recherche du plaisir éphémère de ce bas-monde » auraient transgressé Son interdiction.
Conclusion
Nous avions montré que le Coran n’avait pas décrété l’interdiction de l’esclavage pour des raisons contextuelles socio-économiques évidentes, mais en avait programmé l’abolition.[13]Cependant, pouvait-il en être de même de l’abus sexuel des femmes esclaves, car cela aurait été supposer que Dieu aurait laissé perdurer une telle horreur jusqu’à ce qu’elle disparaisse en même temps que l’esclavagisme ! Dieu, aurait-Il été le Seigneur de ceux qu’il faut bien nommer prédateurs sexuels ! Aussi, le Coran a-t-il interdit, et immédiatement, tout asservissement sexuel des femmes esclaves. La séquence S4.V24-25 que nous avons analysée est parfaitement claire sur ce point et n’autorise les rapports sexuels avec les esclaves que dans le cadre du mariage, ce qui a de plus comme effet de les affranchir.
Pour autant, nous aurons pu constater quelles ruses exégétiques l’Islam a mises en place pour parvenir à maintenir cette situation éhontée. Alors que le Coran condamne explicitement le fait pour le maître de coucher à volonté et contre leur gré avec ses esclaves femmes et qu’il prône l’égalité dans le mariage entre femmes de condition libre et femmes asservies, l’Islam a réussi à légaliser l’exact contraire de cet appel coranique. De même, nous aurons pu constater comment l’Islam est parvenu à modifier en nos esprits la perception de la locution mâ malakat aymânu-kum/celles que possédaient vos mains droites, c’est-à-dire vos femmes esclaves. Ainsi nous semble-t-il que selon cette expression le Coran aurait permis à leurs maîtres d’abuser sexuellement des esclaves sans avoir à les épouser alors que ces mots indiquent qu’il s’agit au contraire de désigner ainsi les femmes esclaves qui ont été affranchies par le biais du mariage.
La différence entre le Coran et l’Islam est donc ici patente. Autant, le Coran prône l’abandon d’une structure sociétale profondément injuste et ségrégationniste, autant l’Islam s’est efforcé de détourner ce message coranique au profit des hommes et au mépris des femmes. L’homme, machiste, misogyne, sexiste et esclavagiste, mésinterpréta donc ces versets et le Droit qu’il élabora tout à son mâle service lui permit de conserver cette pratique avilissante et dénégatrice de la dignité humaine ; le Coran n’est pas ici coupable, mais otage.
Dr al Ajamî
[1] À savoir, quinze occurrences : S4.V3 ; S4.V24 ; S4.V25 ; S4.V36 ; S16.V71 ; S23.V6 ; S24.V31 ; S24.V33 ; S24.V58 ; S30.V28 ; S33.V50 x2 ; S33.V52 ; S33.V55 ; S70.V30.
[2] S4.V24-25 :
وَالْمُحْصَنَاتُ مِنَ النِّسَاءِ إِلَّا مَا مَلَكَتْ أَيْمَانُكُمْ كِتَابَ اللَّهِ عَلَيْكُمْ وَأُحِلَّ لَكُمْ مَا وَرَاءَ ذَلِكُمْ أَنْ تَبْتَغُوا بِأَمْوَالِكُمْ مُحْصِنِينَ غَيْرَ مُسَافِحِينَ فَمَا اسْتَمْتَعْتُمْ بِهِ مِنْهُنَّ فَآَتُوهُنَّ أُجُورَهُنَّ فَرِيضَةً وَلَا جُنَاحَ عَلَيْكُمْ فِيمَا تَرَاضَيْتُمْ بِهِ مِنْ بَعْدِ الْفَرِيضَةِ إِنَّ اللَّهَ كَانَ عَلِيمًا حَكِيمًا (24) وَمَنْ لَمْ يَسْتَطِعْ مِنْكُمْ طَوْلًا أَنْ يَنْكِحَ الْمُحْصَنَاتِ الْمُؤْمِنَاتِ فَمِنْ مَا مَلَكَتْ أَيْمَانُكُمْ مِنْ فَتَيَاتِكُمُ الْمُؤْمِنَاتِ وَاللَّهُ أَعْلَمُ بِإِيمَانِكُمْ بَعْضُكُمْ مِنْ بَعْضٍ فَانْكِحُوهُنَّ بِإِذْنِ أَهْلِهِنَّ وَآَتُوهُنَّ أُجُورَهُنَّ بِالْمَعْرُوفِ مُحْصَنَاتٍ غَيْرَ مُسَافِحَاتٍ وَلَا مُتَّخِذَاتِ أَخْدَانٍ فَإِذَا أُحْصِنَّ فَإِنْ أَتَيْنَ بِفَاحِشَةٍ فَعَلَيْهِنَّ نِصْفُ مَا عَلَى الْمُحْصَنَاتِ مِنَ الْعَذَابِ ذَلِكَ لِمَنْ خَشِيَ الْعَنَتَ مِنْكُمْ وَأَنْ تَصْبِرُوا خَيْرٌ لَكُمْ وَاللَّهُ غَفُورٌ رَحِيمٌ
[3] Certes, le sens de femmes mariées pour muḥṣanât est donné par les dictionnaires, mais nous avons déjà signalé de l’influence de l’Exégèse sur le lexique arabe, cf. Les réentrées lexicales.
[4] « à moins que » seule solution de sens cohérente pour la préposition illâ qui ne peut signifier ici sauf puisque, nous l’avons montré, le v25 indique clairement qu’il ne s’agit pas d’excepter les esclaves du mariage, mais, au contraire, de les épouser.
[5] Sur le sens de prescription, mis pour kitâb, voir : L’héritage des femmes selon le Coran et en Islam.
[6] L’article « les » est inclus dans la forme VIII ibtaghâ laquelle a le sens de vouloir une chose pour quelqu’un, ici le mariage.
[7] Officiellement, le sunnisme ne valide pas le mariage temporaire ou mariage de jouissance/zawâj muta‘a, alors que le shiisme le reconnaît. Néanmoins, la présence de nombreux hadîths sur ce sujet témoigne de ce que ce type d’union temporaire avait été pratiqué par les Compagnons tandis que d’autres attestent que le Prophète aurait finalement interdit cette pratique. D’une part, il n’y a là que le témoignage de l’acceptation de cette pratique dans les premiers de temps de l’Islam et, d’autre part, du fait de l’opposition au shiisme, de son abandon et condamnation par la suite de la part de l’Islam sunnite. Pour autant, le sunnisme a conservé le principe sous la forme du mariage dit misyar qui n’est rien d’autre qu’une forme déguisée de mariage temporaire/zawâj muta‘a. Selon les juristes ayant validé cette forme de fornication, le mariage dit temporaire, du reste curieuse formulation et conception antinomique, peut être établi pour une durée de un jour, un mois ou plus, et il est renouvelable à échéance… Quoi qu’il en soit, shiites et sunnites ont pour cela surinterprété le même segment coranique que nous allons analyser. Premièrement, il nous faudrait admettre que la dotation nuptiale/mahr corresponde au paiement d’un droit de jouissance d’ordre sexuel de la femme ainsi “épousée” : « de même que vous jouissez d’elles, donnez-leur leur mahr/dot», ce qui réduirait la dotation nuptiale/mahr au règlement par avance d’un droit à l’utilisation sexuelle de l’épouse ! Deuxièmement, à partir de cette conception dévoyée de la dotation nuptiale, le segment complémentaire « il n’y a aucun péché contre vous à ce que vous concluez un accord quelconque entre vous après la fixation du mahr/dot » a été compris par certains sunnites et une majorité de chiites comme l’indication d’une possibilité de déterminer à l’avance la durée du mariage : « aucun péché contre vous à ce que vous concluez un accord quelconque entre vous » avec l’intéressée « après la fixation du mahr/dot », ce qui reviendrait à convenir d’un mariage temporaire/zawâj muta‘a. Après l’interprétation indue ayant permis de rendre licites les rapports sexuels avec son esclave femme hors cadre du mariage, il s’agit en ce verset de la seconde malversation exégétique de nature sexiste et sexuelle. Pour parvenir à cette compréhension, les exégètes ont supposé qu’en « de même que vous jouissez/istamta‘tum d’elles, donnez-leur leur mahr » le verbe istamta‘a signifiait jouir de, au sens sexuel. De plus, en ce cas le mahr ne serait versé qu’après l’acte, comme le paiement d’un droit de jouissance sexuelle ! La notion de mariage est donc ainsi transmutée en prostitution légalisée ou, à minima, en licence sexuelle, alors même qu’il est dit en ce verset de la philosophie du mariage qu’il se concluait « en hommes de condition libre et de nobles mœurs et non en fornicateurs » !
Dr al Ajamî
[8] Sur ce point, voir : l’Esclavage selon le Coran et en Islam. Il semble possible de relier ceci à l’esprit inclusif de S3.V195, verset où nous retrouvons le même syntagme : ba‘ḍu-kum min ba‘ḍin/les uns comme les autres : « Leur Seigneur leur a d’ores et déjà répondu : Je ne laisse perdre aucun acte de qui le réalise parmi vous, homme ou femme, les uns comme les autres. »
[9] Voir idem : l’Esclavage selon le Coran et en Islam.
[10] Cf. L’adultère et la fornication selon le Coran et en Islam et Le couple selon le Coran et en Islam.
[11] En arabe, concubines se dit sarârî et le concubinage tasarru, termes et concepts qui, en fonction de ce que nous venons de rappeler et préciser, sont logiquement non-coraniques, mais dont la pratique est interdite par nos vs25-25.
[12] Quatre peines physiques légales sont de manière consensuelle attribuées au Coran par l’Islam sunnite : La flagellation en cas d’adultère ou fornication ; l’amputation de la main du voleur ; la mise à mort pour brigandage et autres rébellions ; flagellation pour accusation mensongère d’adultère. À ce jour, nous avons démontré que les trois premiers châtiments physiques/ḥudûd prétendument coraniques ne reposaient que sur un détournement de sens des versets en question afin de fournir aux pouvoirs des outils de rétorsion et de répression. cf. : L’adultère et la fornication selon le Coran et en Islam ; Couper les mains du voleur selon le Coran et en Islam ; Le verset le plus violent du Coran ?
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