Les vizirs de la dynastie fâtimide s’étaient emparés des rênes du pouvoir en Égypte dès la seconde moitié du cinquième siècle hégirien. Avait alors commencé l’ère des Grands Vizirs qui exercèrent une autorité absolue sur l’Empire fâtimide, allant jusqu’à choisir eux-mêmes les Califes qui n’entraveraient point leurs plans.
Parmi les plus illustres de ces Vizirs figuraient Al-Afdal Ibn Badr Al-Jamâlî, sous le règne du Calife Al-Musta`lî Billâh (1094 - 1101) et du Calife Al-Âmir Bi-Ahkâm Allâh (1101 - 1129), ou encore Talâ’i` Ibn Ruzayq, sous le règne du Calife Al-Fâ’iz (1154 - 1160), ou encore Asad Ad-Dîn Shîrkûh et son neveu Salâh Ad-Dîn Al-Ayyûbî, Saladin, sous le règne du Calife Al-`Âdid, dernier calife fâtimide (1160 - 1171).
Le règne d’Al-`Âdid
Fort de son autorité sur tout l’Empire, le Vizir Talâ’i` Ibn Ruzayq choisit, en 1160, l’un des descendants de la famille régnante, `Abd Allâh Yûsuf Ibn Al-Hâfidh qu’il surnomma Al-`Âdid Li-Dîn Allâh, pour devenir Calife d’Égypte. Étrange époque où le Ministre choisissait son souverain... Le Calife était encore très jeune, dépassant à peine sa onzième année : il naquit en effet le 15 mai 1151.
- Pièce d’or frappée au nom du dernier Calife fâtimide, Al-`Âdid Li-Dîn Allâh
Les Vizirs de la fin de la dynastie fâtimide avaient pris l’habitude de choisir les Califes très jeunes, afin d’être plus à même de diriger sans entrave le pays. Al-`Âdid parvint néanmoins, en 1161 et avec l’aide de quelques princes, à se débarrasser de son Vizir qui le privait de l’exercice de toute autorité. Il nomma à la place du Vizir déchu le propre fils de ce dernier, Al-`Âdil Ibn Talâ’i`, qui exerça ses fonctions pendant deux ans, avant d’être destitué par Shâwar, le gouverneur de la Haute Égypte, en 1163.
La lutte pour le vizirat
Dû au fait que le poste de vizir provoquait la convoitise d’un grand nombre de généraux et d’hommes d’État, des courses effrénées entre les prétendants au poste s’engagèrent. Ce fut pour cette raison que Shâwar ne put profiter pleinement de sa nouvelle fonction. Dirghâm, l’un des plus grands hommes d’État de l’époque, parvint à l’évincer et à prendre sa place au vizirat. Shâwar s’enfuit alors en Syrie implorant l’aide de Nûr Ad-Dîn Mahmûd, Sultan de Damas, pour qu’il l’aidât à regagner son poste. Simultanément, Dirghâm entra en contact avec le Roi Amaury Ier de Jérusalem pour lui demander également son aide.
Nûr Ad-Dîn Mahmûd et Amaury Ier répondirent à l’appel, chacun de son côté. Nûr Ad-Dîn envoya ainsi en 1164 une armée en Égypte, sous le commandement de Asad Ad-Dîn Shîrkûh et de son neveu Salâh Ad-Dîn Al-Ayyûbî, qui avait alors vingt-sept ans. Les Croisés se présentèrent également en Égypte, sous le commandement du Roi Amaury Ier. Trois campagnes se succédèrent ainsi entre Nûr Ad-Dîn et Amaury Ier pour le contrôle de l’Égypte. Elles aboutirent à la défaite des Croisés, à la victoire de l’armée de Nûr Ad-dîn et à l’élimination des deux vizirs rivaux. Asad Ad-Dîn Shîrkûh fut promu au vizirat en 1169.
Asad Ad-Dîn était devenu le véritable maître du pays, après sa nomination par le Calife Al-`Âdid qui le surnomma d’ailleurs Al-Malik Al-Mansûr Amîr Al-Juyûsh, le Roi Victorieux, Chef des armées, et qui lui donna l’autorité sur toutes les affaires de l’État. Shîrkûh se montra tout à fait digne de la responsabilité qui lui fut assignée. Pendant la brève période où il exerça sa fonction de vizir, il parvint à réaffirmer l’autorité de l’État sur le pays, cahotant depuis quelques décennies déjà dans une inquiétante anarchie. Il mourut néanmoins environ trois mois après son accession à son poste. Lui succéda son neveu Salâh Ad-Dîn.
Salâh Ad-Dîn scelle la fin de la dynastie
Dès qu’il entra dans ses nouvelles fonctions, Salâh Ad-Dîn commença par ancrer solidement ses positions dans le pays et par renforcer son autorité et son pouvoir. Par sa politique, il parvint à s’attirer l’amour et les égards des Égyptiens. Il gagna ainsi leur confiance par sa justice et sa transparence. Il assigna pour ce faire des amis et des proches à la direction de l’État, tout en éloignant du Caire les hommes du Calife et en restreignant leur autorité. Il leur confisqua ainsi leurs terres et les redistribua à ses hommes. Il empêcha en outre le Calife de s’adresser à la population et l’astreignit à demeurer dans son palais. Il fit enfin en sorte que le nom de Nûr Ad-Dîn Mahmûd suivît celui du Calife fâtimide, lors du sermon du vendredi.
Toutes ces mesures provoquèrent l’ire des gens du Palais et des hommes du Calife, notamment la Garde personnelle de ce dernier, composée essentiellement d’esclaves noirs affranchis. Tous ces opposants complotèrent alors un assassinat contre Salâh Ad-Dîn en 1169. Celui-ci eut néanmoins vent de ce qui était instigué derrière les coulisses et parvint à arrêter le chef de file de ces putschistes. Les troubles ayant été matés, Salâh Ad-Dîn entreprit une grande démarche visant à faire définitivement chanceler la dynastie fâtimide : il décida de remplacer la doctrine shî`ite par la doctrine sunnite. Il fit ainsi construire des universités dispensant un enseignement sunnite. L’Université An-Nâsiriyyah du Caire, d’obédience chaféite, était la première université fondée par Salâh Ad-Dîn en Égypte. Vint ensuite une autre université dispensant un enseignement malékite. Cette politique fut poursuivie par les membres de sa famille et les hommes de son État, qui firent également construire d’autres universités sunnites.
Dans le cadre de ce remplacement de la doctrine shî`ite par la doctrine sunnite,Salâh Ad-Dîn nomma le Chaféite Sadr Ad-Dîn `Abd Al-Malik Ibn Dirbâs au Ministère de la Justice. La conséquence de cette nomination était que les juges d’Égypte furent tous chaféites. Ce fut ainsi que la doctrine sunnite retrouva toute sa vigueur et que la doctrine ismaëlite s’éteignit peu à peu au pays du Nil.
Malgré l’autorité désormais incontestée de Salâh Ad-Dîn, celui-ci ne se hâta pas de remplacer, au sermon du vendredi, la mention du Calife fâtimide Al-`Âdid par celle du Calife `abbâside Al-Mustadî’ Bi-Nûr Allâh. La mention du nom du Calife au sermon du vendredi symbolisait en effet une allégeance hebdomadairement entretenue par la population pour celui qu’elle reconnaissait comme souverain. Or,Salâh Ad-Dîn, dans sa volonté d’unifier la nation musulmane, cherchait à ramener l’Égypte fâtimide sous la tutelle du Califat `abbâside de Bagdad. Remplacer, dans le sermon du vendredi, le nom du Calife fâtimide par celui du Calife `abbâside ne signifiait ni plus ni moins qu’un changement d’allégeance et de souverain. C’était cette décision finale qui signait de fait l’arrêt de mort de la dynastie fâtimide qui inquiétait le plus Salâh Ad-Dîn. Malgré les pressions exercées par Nûr Ad-Dîn,Salâh Ad-Dîn demeurait hésitant, si bien que le Sultan de Damas crut que Salâh Ad-Dîn, fort de sa position en Égypte, se rebellait contre lui. Mais ce dernier s’excusa, expliquant qu’il craignait la réaction des Égyptiens si une telle mesure était prise.
Devant l’insistance de Nûr Ad-Dîn Mahmûd, Salâh Ad-Dîn décida de réunir ses subordonnés pour les consulter sur cette grave question. Beaucoup d’hésitations entachèrent la réunion. Ce fut finalement le juriste Al-Amîr Al-`Âlim qui coupa court à ces hésitations et qui déclara que dès le vendredi suivant, au cours de son sermon, il mentionnerait le nom du Calife `abbâside. C’était le premier vendredi de l’année 567 de l’Hégire (septembre 1171). Nul, parmi la population, ne protesta.
Au deuxième vendredi, Salâh Ad-Dîn ordonna à l’ensemble des orateurs des mosquées du Caire de ne plus mentionner le nom d’Al-`Âdid, mais de le remplacer par le nom du Calife de Bagdad. C’était la fin du Califat fâtimide et le retour de l’Égypte sous la coupe du Califat `abbâside.
Al-`Âdid était alors gravement malade et nul, parmi sa famille ou ses proches, ne lui apprit la nouvelle. Il mourut quelques jours plus tard, marquant ainsi la fin de la dynastie fâtimide, cette dynastie qui dura plus de 250 ans et dont les premiers califes régnèrent sur un territoire s’étendant de l’Océan Atlantique jusqu’au Golfe Persique.
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